Une tornade est passée par là… Qu’a-t-il pu se passer dans l’atelier de Rouge et Bleu ?
Au milieu d’un grand bazar aux mille objets, nos deux protagonistes mécanicien·nes, s’activent pour redonner vie à M. Robot, qui ne va pas sans rappeler le burlesque de Monsieur Hulot. Avec ou sans mode d’emploi, Rouge et Bleu en appellent à leur ingéniosité pour tenter de donner du sens à tous ces objets dans le but de mettre en marche M. Robot qui ne demande qu’à retrouver vie. Comment faire ? En musique, marquée par le rythme saccadé des percussions et autres sons « do it yourself », Rouge et Bleu sortent de leur couvre-chef un tas d’idées. Se succèdent alors plusieurs actions et tentatives qui invitent les jeunes spectateur·rices à suivre la construction de M. Robot sous forme de jeu de piste. L’imagination s’en retrouve titillée, tandis que le tintamarre d’objets commence à prendre forme avec malice.
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© Chine Curchod
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© Gabriel Amon
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© Gabriel Amon
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© Julien Gregorio
Cie Chamar Bell Clochette
Robot
Tout public, à partir de 3 ans
Conception Chine Curchod et Roland Bucher
Interprétation Chine Curchod et Roland Bucher ou Gaëtan Aubry
Oeil extérieur Laure-Isabelle Blanchet
Scénographie Chine Curchod et Roland Bucher
Diffusion Caroline Namer
Production Cie Chamar Bell Clochette
Pièce créée à l’occasion d’une carte blanche au Mullbau à Lucerne
Biographie
Chine Curchod est comédienne et marionnettiste. Après avoir étudié le théâtre à Genève, Chine joue avec différents metteurs en scène dont José Lillo, Lorenzo Malaguerra, Claudia Bosse, Dominique Catton, Georges Grbic, Johanny Bert et avec Guy Jutard au Théâtre des Marionnettes de Genève (TMG). Elle crée en 2008 la compagnie Chamar Bell Clochette et se consacre principalement à la marionnette et au théâtre pour jeune public. Avec ses productions ludiques et fantaisistes, sa passion pour les installations et les objets extraordinaires et son sens de l’absurde, la compagnie inspire et surprend à chaque fois. En 2021 elle reçoît le prix ASSITEJ pour l’ensemble de son travail.
Entretien avec Chine Curchod et Roland Bucher
Pièces détachées
Que font ces deux personnages très affairés au milieu de tout ce capharnaüm ? Plan en main et tenues de chantier parfaitement ajustées, Rouge et Bleu sont tout entiers à leur mission : remettre en marche Robot. Alors ils assemblent, ils bricolent, ils testent. Le montage c’est le spectacle : tout avance en même temps, la construction et la narration. Performance visuelle autant que concert pour objets et sons électroniques, burlesque à souhait, Robot active cette poésie de la matière et des machines chère à Tinguely comme à Jacques Tati. Aux commandes et sur scène, dans ce premier spectacle commun, la marionnettiste Chine Curchod et le musicien Roland Bucher réveillent les imaginaires des petits comme des grands pour transmettre le plaisir de l’expérimentation.
Comment avez-vous créé les associations d’objets pour Robot ? Comment ça se conçoit un spectacle pareil ?
Roland Bucher Nous avons eu carte blanche d’une scène, à Lucerne — la ville d’où je viens, en Suisse —, consacrée à la musique improvisée, le Mullbau, qui propose de temps en temps des concerts pour enfants. C’est dans ce cadre que l’équipe nous a demandé de créer un spectacle. Je suis musicien, et quand nous travaillons ensemble, avec Chine, c’est théâtral, mais le son est très important. Nous avons eu l’idée de partir d’objets et de machines récupérés pour construire un robot. Nous avons trouvé tout le matériel dans des brocantes ou chez nous et durant une semaine nous nous sommes enfermés dans une cave pour faire de la recherche, voir qu’est ce qui fonctionne avec quoi, nous avons fait beaucoup d’essais. Exactement comme on le montre dans la pièce : prendre par exemple le moule à kougelhopf et chercher du son, comment faire pour que ça tourne, etc. La naissance de la pièce, c’est vraiment ça : des tests, des tests et encore des tests.
Chine Curchod C’est un peu comme deux enfants à qui on a laissé plein d’objets. Nous nous sommes beaucoup amusés. D’autant qu’il n’y avait pas de pression avec cette commande puisqu’au départ nous ne devions la jouer qu’une seule fois. Le principe du Mullbau c’est quelques jours de répétition et une seule représentation. Nous nous sommes dit : on prend une semaine et on va construire un robot, mais aussitôt après la représentation nous avons eu des propositions pour le jouer ailleurs. C’est comme ça que ça a commencé car ensuite nous avons voulu améliorer des choses, nous avons déniché des moteurs dans des brocantes et on a retouché : le spectacle a ainsi évolué au fil des mois, à chaque changement, il fallait qu’on répète à nouveau, jusqu’à ce qu’on se décide à arrêter nos recherches. Finalement, nous avons demandé à Laure-Isabelle Blanchet, une marionnettiste, de faire l’œil extérieur et c’est d’elle qu’est venue l’idée de nous recentrer sur la construction. Dans la première version, il y avait une marionnette bunraku en tissus mais elle est devenue inutile, on ne l’a pas gardée.
Au début de la pièce, il y a une sorte de chaos complètement organisé, c’est comme dans une chambre d’enfant et c’est très universel
C.C. C’est vrai que quand les enfants découvrent l’espace du plateau au début, avant qu’on arrive, ils y reconnaissent quelque chose d’eux, tout comme les parents… Ce qui les fait rire aussi c’est de nous voir bricoler, d’autant que cela arrive régulièrement que cela ne fonctionne pas, que cela tombe. Tout est fait au scotch donc ce n’est pas fiable, ça aussi ça fait rire les gens. Donc au vu de ces réactions, on s’est dit : « ok, c’est comme ça, c’est un robot qui ne fonctionne pas très bien ».
R.B. Comme tout tient avec du scotch, ça bouge tout le temps de quelques centimètres, l’incertitude fait partie du jeu.
C.C. : et nous, ça nous dynamise aussi dans le jeu. Quand on dit OK on est vraiment dans l’attente, on se demande réellement si cela va fonctionner. En tant qu’interprètes sur scène, cette pièce est super intéressante, car à chaque représentation c’est comme un défi, on se demande tout le temps : est-ce que cela va fonctionner ? est-ce que ça ne va pas se casser la figure ? est-ce que les popcorns ne vont pas brûler ? il y a beaucoup d’aléatoire, c’est une pièce très drôle à jouer.
Il y a aussi une sorte de robotisation des deux personnages : qui sont-ils ? Quelle histoire vous êtes-vous raconté ?
R.B. Ils sont comme deux mécanicien·ne·s qui doivent construire un robot, dans leur atelier, c’est très simple, très ouvert.
C.C. Nous n’avons pas voulu mettre de psychologie. Le sujet c’est vraiment la construction. Ils se connaissent bien, ils sont complices parce qu’ils partagent un atelier quelque part dans une cave. Les enfants ne se posent pas la question non plus.
R.B. La star du spectacle, c’est plutôt le robot.
Mais quand Mme Rouge s’impatiente lorsque que Mr Bleu part dans son imaginaire, il y a quand même une petite relation qui se construit aussi entre eux ?
C.C. Oui. Comme nous sommes aussi un couple, ça vient sans doute un peu de ce que nous sommes, Roland, très calme, et moi, toujours impatiente. Mais nous n’avons pas cherché une histoire, c’est venu comme ça avec ces personnages un peu lunaires. Nous citons souvent Jacques Tati car il a une relation avec les bruits, les sons — enregistrés après coup et resynchronisés avec les images — que nous adorons. Le personnage de Monsieur Hulot nous touche beaucoup, on peut se demander : qu’est-ce qu’il fait là en fait ? En fait, il est simplement là, et il vit des choses.
R.B. C’est vrai que nous avons amélioré nos personnages, au fur et à mesure sont apparus des caractères indépendants, une dynamique entre nous et une complicité avec le public.
Robot est vraiment une pièce musicale, la rythmique est-elle très écrite ?
R.B. Le travail c’était vraiment de chercher des sons à travers des combinaisons d’objets : qu’est-ce que ça produit comme bruit ? Comment ça sonne ? Est-ce qu’en associant tel ou tel, c’est intéressant ? Ce n’était pas seulement de chercher quelque chose qui tourne, mais surtout quel est le bruit que ça fait en tournant. Pour donner une base de rythmique, on installe, dès le départ, des bras robotiques qui existent pour les batteurs et qui nous structurent dans nos mouvements. Ce sont des bras complètement mécaniques qui tapent sur des boîtes. Tout est fait en direct, le son n’est pas non plus amplifié, ni modifié, l’objet sonne comme il sonne, selon le lieu où on se trouve, c’est très direct. Tout est là, il n’y a pas d’ajout.
C.C. Tout est fait main, on a juste besoin d’électricité mais ce n’est pas compliqué techniquement. L’esprit récup’, l’idée de faire avec ce qu’on a autour de nous, c’est quelque chose que nous avons la volonté de transmettre aux enfants, nous voulons leur dire qu’on peut s’amuser avec très peu. C’est aussi dans un souci écologique, et pour nous c’est important. On joue aussi avec des petits « trucs » comme par exemple les vibrations sous la table quand on mange.
R.B. Ça c’est un dispositif avec des hauts parleurs qui permet de sentir physiquement les basses et que j’avais expérimenté dans une pièce pour des sourds. Je l’avais conservé et j’ai voulu le réutiliser pour faire vibrer la table.
Pour cette création, vous évoquez l’influence de Tinguely
R.B. Il est très présent pour nous, oui, nous adorons Tinguely, mais nous n’avons pas travaillé avec la volonté de faire du Tinguely, nous essayons d’être vraiment libres quand nous créons mais, après coup, avec le retour du public, nous avons découvert des similitudes : nous sommes probablement influencés par lui, mais de manière inconsciente.
C.C. Je garde des souvenirs très forts de visites d’expositions de Tinguely, enfant, c’était incroyable ! Il y a aussi peut-être l’influence de Fischli et Weiss, avec leur fameuse vidéo Le Cours des choses… Que des artistes suisses, comme nous !
Est-ce que Robot est dans la lignée de vos précédents spectacles ?
C.C. Robot est le premier spectacle que nous avons créé ensemble, depuis nous en avons fait un autre, pour adultes cette fois, intitulé Im Wald (dans la forêt). Je travaille habituellement avec d’autres collaborateur·trice·s. Comment les spectacles naissent ? Qu’est ce qui les relie ? Je ne sais pas vraiment, je suis tout le temps en recherche, en train de voir des expos, très curieuse de tout, je prends ce qui vient et je le construis par rapport à l’idée qui arrive. La musique a toujours une place importante, la marionnette aussi : à part la gaine, j’ai tout expérimenté… Je suis une dévoreuse d’expérimentations techniques. J’aime mélanger les choses, la musique, les objets, le théâtre… Et il y a la joie de faire, à chaque fois !
Propos recueillis par Maïa Bouteillet en mars 2023