De ses origines paysannes et religieuses, la chorégraphe et danseuse Géraldine Chollet a conservé une dimension spirituelle intense qui traverse sa vie comme son œuvre et particulièrement OUVERTURE, sa troisième création. Dans cette pièce immersive conçue pour le dehors, comme pour le dedans, il n’y a pas de frontière entre l’espace du spectacle et celui d’où l’on regarde : les interprètes et le public cheminent côte à côte, réunis dans une expérience commune du corps et de l’esprit. Une forme enveloppante de rituel, inspirée des mystères du Moyen Âge et du nouvel an primitif de l’Appenzell et néanmoins totalement ancrée dans le présent, à travers la marche réitérée, le mouvement des danseurs, la musique et le chant en direct. Empruntant son titre à la très belle chanson d’Etienne Daho, OUVERTURE invite chacun·e à se relier à soi, à sa part intime, comme à ce et à ceux qui l’environnent. S’attendrir, se laisser traverser… Marcher ensemble, célébrer le vivant, telle est la belle proposition de cette artiste sensible.
Géraldine Chollet - Cie Rahu LaMo
OUVERTURE - pièce pour danseur·euses et public cheminant
Avec les Rencontre(s) d’été de la Chartreuse
Direction artistique, chorégraphie (en collaboration avec les danseur·euses), chant Géraldine Chollet
Danseur·euses Mélissa Guex, Eléonore Heiniger, Bast Hippocrate et David Zagari
Assistanat, responsable extras Trân Tran
Scénographie et création lumière Sven Kreter
Création sonore Renée Van Trier
Composition sonore et régie son Raphaël Raccuia
Direction technique Celine Ribeiro
Costumes Scilla Ilardo
Production et diffusion Maxine Devaud / oh la la – performing arts production
Remerciements pour leur participation Martine Vial, Marion Moreul, Ari Soto, Tabatha Longdoz, Sylvain Bouvier, Marie-Pierre Stoppani, Magali Mazars Veille, Audrey Goukassian, Sylvie Mary, Florence Garot, Michel Pitino, Florence Ancelly
Production Cie Rahu LaMo
Coproduction Théâtre Sévelin 36, Lausanne
Avec le soutien de Ville de Lausanne, Fondation suisse des artistes interprètes SIS, Loterie Romande, Fondation Nestlé pour l’art, Ernst Göhner Stiftung, Fondation Casino Barrière de Montreux
Remerciements aux nombreu·ses danseur·euses palestinien·nes de Dabke qui m’ont inspiré·es et dont nous avons repris le pas de base
Biographie
Géraldine Chollet s’est formée au Laban Center à Londres. Elle danse ensuite avec différentes compagnies (Cie Jessica Huber, Cie Prototype-Status, Cie Philippe Saire, Cie Unplush). Elle travaille aussi comme comédienne avec la Cie Emilie Charriot et L’Alakran – Oscar Gomez Mata. Parallèlement à sa pratique artistique, Géraldine s’est formée pour l’accompagnement spirituel en milieu hospitalier. Depuis 2011, Géraldine Chollet développe son propre travail chorégraphique avec la Cie Rahu LaMo, notamment avec les pièces IRA, ITMAR, OUVERTURE – pièce pour danseur·euses et public cheminant et La Kabane. Géraldine Chollet est artiste associée au Théâtre Sévelin jusqu’à fin 25. Elle travaille actuellement sur une nouvelle création, une pièce de groupe, qui verra le jour en novembre 2025 au Théâtre Vidy Lausanne.
Entretien avec Géraldine Chollet
Vous vous êtes inspirée du théâtre des mystères du Moyen Âge mais aussi de la tradition du nouvel an primitif d’Urnäsch, dans l’Appenzell, qu’on ne connaît pas du tout en France, pouvez-vous nous en parler ?
En Suisse, nous avons toute une tradition de carnaval avec, dans certaines régions, des costumes très élaborés, des visages sculptés dans le bois, des monstres qui dévalent la montagne… Quand j’ai découvert le nouvel an primitif de l’Appenzell, j’ai trouvé ça magnifique. Ma première pièce, Itmar, questionnait la thématique des racines – d’où je viens ? Qu’est ce qui me constitue ? Quel est mon « patrimoine » ? – et portait aussi une réflexion sur l’exotisme : nous cherchons parfois ailleurs des choses que nous avons finalement aussi ici et nous pouvons chacun être exotique pour les autres, au sens où nous arrivons chacun avec des mondes. Je m’étais demandée quels avaient été les rites fondateurs dans mon parcours et dans mon identité de femme et j’étais allée chercher du côté de mes racines paysannes et religieuses. OUVERTURE se déploie à partir du constat qu’en ville nous n’avons plus de rituels qui nous rassemblent et nous permettent d’espérer… La pièce découle d’une réflexion sur les rituels issus d’un élan de solidarité au sein d’une communauté tel qu’on le voit dans le nouvel an primitif et le théâtre des mystères. Le nouvel an primitif est une tradition qui date d’avant l’imposition du calendrier chrétien. Cette communauté s’est battue pour préserver sa tradition, malgré la pression de l’état pour éradiquer les rituels non-chrétiens. Cette fête se déroule le 13 janvier, au lever du jour, depuis plus de 500 ans, dans une vallée réunissant plusieurs petits villages et des fermes, la vallée d’Urnäsch. Parés de costumes, de masques et de coiffes extraordinaires (certains sont de grandes sculptures sophistiquées en bois qu’ils ont mis l’année à sculpter), et pourvus de grosses cloches, les « Silvesterchlaüse » courent de ferme en ferme pour faire fuir ce qui a été difficile durant l’année précédente. À leur arrivée, ils entonnent un yodel polyphonique puis repartent, et ainsi de maison en maison. Ces personnes n’ont pas de qualification particulière, elles prennent pour quelques heures le rôle d’intermédiaire entre le monde des mystères et le monde concret et font des actions dans l’espoir que cela va influencer ce qui va arriver. Cela me questionne : comment se rendre solidaires les uns des autres ? Quelles formes symboliques ou poétiques utilise-t-on pour réveiller les mémoires anciennes et nous connecter à d’autres possibles ? À ça se sont ajoutées d’autres inspirations comme le théâtre des mystères où, en situation de crise, comme les épidémies de peste par exemple, des citoyens se rassemblaient et créaient un spectacle pour communiquer avec les dieux. Il s’agissait d’un théâtre public à dimension magique… avant que ça ne soit récupéré par l’église pour faire de l’enseignement biblique. Mon idée première ça a été de créer un espace où on puisse se mettre ensemble, chacun avec ses aspirations.
Dans cet espace où nous sommes invités à entrer, chacun fait l’objet d’un accompagnement : est-ce une expérience collective à laquelle vous nous conviez ?
C’est une invitation à marcher en cercle. La marche en cercle se retrouve dans plusieurs traditions spirituelles à travers le monde. Dans le christianisme, il y a la marche méditative des moines dans les cloîtres qui permet la prière et la contemplation ; dans l’islam, il y a la marche autour de la grande pierre noire ; dans le bouddhisme, on fait tourner les moulins … Cette idée de la marche me vient d’un texte biblique, le Sermon sur la montagne, où Jésus dit : heureux les doux parce qu’ils auront la terre en héritage, heureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés, heureux les affamés de justice parce qu’ils seront rassasiés… Selon la traduction (du grec ou de l’hébreu), c’est soit « heureux », soit « en marche », ce qui m’a beaucoup interpelée et que je traduis ainsi : quelles que soient les circonstances de ta vie, ne te laisse pas figer, ne te durcis pas, traverse ! Une part de la chorégraphie a été conçue sur cette idée. (Cela rejoint aussi des techniques utilisées dans les soins post-trauma, type EMDR, qui réouvrent des espaces dans le cerveau par le mouvement latéral gauche-droite et permettent de guérir les traumas). OUVERTURE demande un effort du public, il y a un moment où on a envie de s’arrêter, cela nous met à l’épreuve. Si on accepte de continuer à mette un pas devant l’autre, quitte à réduire la vitesse, alors quelque chose se passe. Comment marcher doucement sur la terre, comment marcher avec nos tristesses, nos deuils, et comment se tenir debout et en mouvement avec nos révoltes face à ce qui est ? Ce message, « heureux les doux », est très important pour moi aujourd’hui. La douceur demande beaucoup de discipline.
Et d’ouverture aussi ?
Avec les interprètes, nous travaillons beaucoup sur la disponibilité, la douceur et l’ouverture. Pour être doux, il faut être ouvert, un corps dur ne ressent rien. « Émotion » c’est la même racine étymologique que mouvement. Rester en mouvement entre nos deux oreilles, dans notre cœur, dans notre ventre… je pars du principe que si nous-mêmes sommes au bon endroit, alors cela encourage le public. Les danseur·euses doivent accepter de se remettre en jeu, c’est-à-dire d’aborder le terrain, non du point de vue du conquérant mais en se mettant à l’écoute : à l’écoute de soi, de la terre et des gens qui marchent et ça commence depuis l’accueil. Il y a une préparation avant. Nous avons aussi eu toute une réflexion sur le « nous ».
La danse est-elle une façon de faire communauté ?
Oui. Je m’intéresse à la fois aux danses traditionnelles et aux danses de club pour leur côté rassembleur. J’ai eu l’occasion d’assister à plusieurs mariages traditionnels en Palestine, j’ai pu observer des hommes danser le Dabke, une forme en ligne où ils se donnent les mains et où ils avancent. C’est extraordinaire, dès que ça commence tout le monde est relié, cela fait directement communauté. Dans les danses de club, c’est pareil, il y a quelque chose qui nous met en transe. Les danses populaires ont cette capacité à faire communauté. La grande question pour moi, c’est comment faire communauté en venant d’horizons très différents, ce qui est le cas avec les danseur·euses. Et ce qui m’intéresse là, c’est aussi d’inclure le public, de le rendre actif. Au contraire de notre système actuel, capitaliste, patriarcal, qui a un grand désir de nous engourdir et de nous désolidariser les uns des autres.
Comment avez-vous choisi les interprètes et quelle a été votre démarche de départ pour écrire la chorégraphie ?
J’avais besoin de danseur·euses ayant un bon rapport à la pulse, au groove, qui puissent aussi entrer dans mon univers, accepter de questionner le mystère qui nous fonde et qui soient ouverts à la métaphysique. Des interprètes qui assument de ne pas être au centre, qui soient capables de faire de la place à l’autre. Au départ, nous sommes parti·es à la montagne ensemble dans un petit chalet, sans eau courante, nous avons marché ensemble, nous avons réfléchi sur la communauté, l’hospitalité : partager le pain et marcher avec, ce que nous avons appelé ensuite « l’esprit de la montagne » et que nous avons cherché à retrouver en studio. Concrètement, nous avons développé des séquences de marches en huit temps, inspirées du Dabke et du matériel de mouvements inspirés par les trois phrases du Sermon sur la montagne que j’ai ensuite composé en une chorégraphie suivie qui évolue en crescendo. Nous travaillons aussi beaucoup sur la qualité de corps, comment physiquement chercher cet endroit de disponibilité, de tendresse, d’agilité, qu’on essaye de partager. La forme chorégraphique est assez simple, au point que presque n’importe qui pourrait la faire, il n’est pas question de virtuosité technique, mais de qualités de corps et de cœur que nous recherchons. Nous travaillons beaucoup sur le sujet de l’effort et sur la nécessité de lâcher la prise pour bouger. C’est même politique cette histoire de qualité de corps…
Il faut évoquer aussi l’espace, la lumière, le son, la musique qui participent aussi de cette forme de rituel
Toute la musique est tirée de sons traditionnels suisses : des sons du carnaval, des cloches de troupeaux, des tambours, des trompettes, des fouets aussi (à Schwitz, il y a une tradition de musique faite avec des fouets), des mouvements de drapeaux… C’était comme prendre la rythmique de nos racines pour en faire de la musique de club, une musique qui nous fasse tous danser. C’est aussi une musique qui se déploie progressivement, qui modifie notre état intérieur, nous fait voyager et nous emporte. C’est joué en live ; Raphaël Raccuia a composé la bande son à partir de sample et de boucles sonores créés par l’artiste Renée Van Trier. À chaque représentation, il les mixe en direct. Le son est installé tout autour de l’espace de jeu, le son lui-même bouge et selon les lieux ça ne rend pas la même chose. Au niveau de la rythmique, dans la forme rituelle comme dans les clubs, la présence du tambour ramène au cœur, à la pulsation vitale, cela parle de la vie mais aussi de la mort, de notre fragilité, de notre capacité à aimer. Donc le rapport à la pulse est essentiel, la façon dont tu marches crée en soi un rythme. Nous travaillons aussi beaucoup là-dessus. J’ai un grand respect pour les danses urbaines, où ce rapport à la pulsation et à la communauté est essentiel.
Existe-il une continuité avec vos autres pièces ?
Après OUVERTURE, j’ai fait une pièce qui s’appelle la Kabane où les danseur·euses dansent au milieu du public et dans ma prochaine pièce, le public sera assis au centre et les interprètes tourneront autour. La question de la relation au public, et de comment sa position et sa situation dans l’espace par rapport aux performeur·euses modifie l’expérience de chacun·e, est récurrente dans les trois spectacles. Il y a continuité également dans le questionnement sur les racines et sur l’intime. Dans OUVERTURE il y a aussi cette question de l’intime, dans la façon dont nous accueillons chacun·e et dont nous marchons ensemble : comment se mettre en lien alors qu’on ne se connaît pas. Pour les danseur·euses, il s’agit aussi de se laisser regarder, d’oser se dévoiler d’une certaine manière. La notion de communauté traverse aussi toutes mes pièces.
Propos recueillis par Maïa Bouteillet en janvier 2024 à Genève
Vidéo
Revue de presse
« La transe en boucle de Géraldine Chollet à la Sélection suisse »
Cult News, Amélie Blaunstein-Niddam
« Ouverture : chemin de douceur, expérience mystique »
Revue Plein feux, Yannaï Plettener
« Dans la transe de Géraldine Chollet »
L’Œil d’Olivier, Olivier Frégaville-Gratian d’Amore et Samuel Gleyze-Esteban