Living Smile Vidya est une héroïne. Celle d’une vie par elle réinventée. Née garçon en Inde du sud, au sein de la caste marginalisée des dalits, la voici, quelques décennies plus tard, trans activiste sur les scènes d’Europe, au fil d’un parcours semé d’épreuves et de courage. Véritable personnage, figure de fiction bien vivante, dotée d’une présence à la fois généreuse, drôle et gonflée, elle déroule le récit d’une histoire intime et politique dans une adresse au public constante. Elle chante, elle danse, elle interpelle, elle joue avec son corps, avec les costumes, avec l’image et avec l’espace, dans une sorte de comédie musicale des plus libres. Par ce geste, elle porte aussi la voix de celles et ceux qui, comme elle, passent les frontières et cherchent refuge ailleurs pour pouvoir mener une existence digne. Living Smile, au sens fort des mots, c’est le nom qu’elle porte en étendard, et il n’est pas usurpé !
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©ronjaburkard
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Living Smile Vidya
Introducing Living Smile Vidya
Spectacle surtitré
Conception, mise en scène et jeu Living Smile Vidya
Accompagnement et dramaturgie Marcel Schwald
Mentorat artistique Beatrice Fleischlin
Création son, design vidéo et animation Moritz Flachsmann
Direction technique et lumières Thomas Kohler
Costumes Diana Ammann
Son Silvan Koch
Voix (vidéo) Suzì Feliz Das Neves
Surtitrages Anton Kuzema
Production Das Theaterkolleg
Coproduction Tojo Theater Reitschule-Bern, Treibstoff Theatertage-Basel and Südpol-Luzern
Biographie
Living Smile Vidya est actrice, clown et autrice. Son autobiographie « I am Vidya », adaptée au cinéma, lui vaut une reconnaissance internationale. En 2013, elle reçoit le prix Charles Wallace India Trust pour son excellence dans le domaine du théâtre, puis une bourse d’études à l’International School of Performing Arts à Londres. En 2014, elle fonde le collectif de théâtre transgenre Panmai Theatre à Chennai, dont les pièces font l’objet de tournées nationales et sont jouées à l’étranger. En 2018, elle fuit l’Inde pour la Suisse, en raison de ses activités politiques et des menaces de mort qu’elle reçoit. Pendant ce temps, elle joue dans la pièce « EF_FEMININITY » des artistes suisses Marcel Schwald et Chris Leuenberger, présentée, entre autres, à la Sélection suisse en Avignon en 2019. Elle participe également au documentaire « L’audition » (2023) de Lisa Gerig, récompensé par un Prix du cinéma suisse. Enfin, le spectacle « Introducing Living Smile Vidya » a reçu le Prix suisse des arts de la scène 2024.
Entretien avec Living Smile Vidya
Qui est ce personnage que vous voulez nous présenter ? qu’a-t-elle de particulier ? Quelle histoire voulez-vous raconter avec elle ?
Je ne sais pas si elle est spéciale mais, elle est un véritable condensé de diversités. Elle est riche d’une expérience forte, celle d’avoir grandi en Inde comme dalit, (ndlr, ou encore appelé « intouchable »), en tant que personne trans et artiste de théâtre activiste et d’avoir quitté son pays pour la Suisse où elle a demandé l’asile pour enfin trouver la paix dans sa vie. D’une certaine manière, ma lutte pour trouver du travail, être reconnue comme artiste et me frayer une place sur la scène contemporaine s’inscrit dans la continuité de toutes les luttes que je mène depuis toujours pour ma reconnaissance. C’est cela que je veux raconter avec Introducing Living Smile Vidya. Elle veut se présenter en tant qu’artiste, en tant qu’intouchable en lutte, en tant qu’activiste politique venant d’Inde, et en tant que personne confrontée à ce système très compliqué de demande d’asile en Suisse, et au milieu de tout cela, elle est toujours à la recherche de joie dans sa vie. D’où ce nom de Living Smile, qui associe le vivre et le sourire. Voilà ce que je veux raconter.
Living Smile est donc une sorte de mantra pour vous ?
Je suis née en tant qu’homme mais je ne me reconnais pas dans ce genre, j’ai donc entamé un processus de transition et j’ai voulu changer de nom. Je me suis alors interrogée sur ce qui caractérisait le mieux la personne que je suis. Je suis quelqu’un qui a un très fort désir de vivre et de mettre de la joie dans sa vie, c’est pourquoi j’ai choisi ce nom. C’est devenu mon nom officiel. Je suis l’une des premières personnes trans, en Inde, à avoir changé d’état civil. J’ai lutté pour ça en 2007 : l’Inde est l’un des premiers pays à avoir accordé aux personnes trans le droit de changer de genre et de nom et je compte parmi les premières à l’avoir fait. J’ai contribué à changer le narratif concernant les droits des communautés trans car auparavant les revendications restaient très générales telles que « respectez nous ». Ma lutte portait sur des questions plus spécifiques comme le droit à l’éducation, au travail, qu’il puisse y avoir des personnes trans dans tous les secteurs d’activité professionnelle… Jusque-là, les femmes trans n’avaient pas d’autres choix que de mendier, c’est d’ailleurs ce que j’ai dû faire. J’ai contribué à faire entendre haut et fort ces revendications.
Étiez-vous déjà actrice et/ou danseuse en Inde ? Comment étiez-vous accueillie dans ce contexte ?
Je pratique le mouvement mais je ne me considère pas comme une danseuse. Je suis actrice, j’ai toujours été actrice avant même que je ne découvre que j’étais une personne trans et pendant longtemps, en Inde, j’étais une des rares femmes trans à faire du théâtre comme activité à plein temps. Comparée à d’autres sphères, la scène est un espace plus inclusif. Le théâtre n’a pas de valeur en Inde, cela concerne vraiment une frange très confidentielle de la population, les artistes en Inde sont minoritaires et en général ils sont aussi impliqués dans la défense des droits humains donc c’était un lieu possible pour moi. La scène est mon utopie, c’est mon « safe space » ultime. Mais suite à un spectacle plus politique où j’apparaissais nue — pas de manière gratuite mais pour mettre en évidence toutes les cicatrices sur mon corps racontant la violence que j’ai subie en tant que femme trans — j’ai reçu des menaces et j’ai dû quitter mon pays.
Quelle est la forme que vous avez choisi pour votre mise en scène ?
C’est une forme de comédie. Quand je raconte mon histoire il n’y a pas de quoi se réjouir mais je cherche toujours la manière la plus légère de la transmettre ; je veux que le public me rencontre, me connaisse, comprenne mes luttes mais pas que cela l’angoisse. Je ne veux pas de pathos, je veux qu’il puisse rire aussi, c’est comme cela que je communique au mieux avec les spectateur·trices. Je veux qu’ils m’aiment et qu’ils découvrent les valeurs humaines attachées au fait d’être une artiste trans, je veux susciter leur empathie, et je veux aussi leur faire découvrir la vie des demandeurs d’asile. Tout le monde comprend que nous voulons une bonne vie et être en sécurité mais peu de gens savent concrètement à quoi ressemble la vie d’un demandeur d’asile. Pour ma part, cela fait 7 ans que j’ai déposé ma demande et je n’ai toujours pas de réponse, mon statut est toujours incertain, et dans ce contexte, travailler, obtenir un permis de le faire, est une lutte de chaque instant. Je peux travailler mais tout ce que je gagne au-delà de 100 CHF, je dois le rétrocéder au canton. Et dans chaque canton où je travaille je dois demander un permis. Dans ce spectacle, je me présente comme personne trans, activiste… mais je veux aussi faire passer un message auprès des auteurs, metteurs en scène et agences de production : engagez-moi !
Votre situation reste très précaire, votre performance n’a donc pas permis de faire avancer les choses ?
J’ai gagné le prix suisse de théâtre pour ce spectacle. J’apparais aussi dans un documentaire, « L’Audition », sur les demandeurs d’asile, qui a été récompensé par le prix du meilleur documentaire suisse. Grâce au théâtre, j’ai pu aussi voyager en Allemagne, en France, à Avignon, il y a des années, pour un spectacle dans lequel je jouais, alors qu’en principe les demandeurs d’asile n‘ont pas le droit de quitter les frontières du pays d’accueil, mais aucune de ces réussites n’a eu vraiment d’impact sur mon statut qui reste toujours en attente… Je crois pourtant profondément à la puissance du théâtre. Je suis actrice et activiste. Le théâtre est mon métier mais aussi un outil politique pour ma lutte. L’art doit être politique, j’y crois profondément… La question des demandeurs d’asile est généralement considérée d’un point de vue cis hétéro, comme conséquence d’une guerre ou pour des personnes fuyant des situations dramatiques en Afrique. Ma situation est très différente et, même en Suisse, le système de l’asile est très compliqué et, je dirai même, non exempt de dangers pour les personnes queer. Il n’est pas rare que nous soyons discriminé·es, harcelé·es et parfois même attaqué·es par les autres demandeurs d’asile. C’est important de parler de la spécificité des demandeurs d’asile queer car notre situation est rarement abordée en tant que telle dans les politiques migratoires.
Est-ce à ce propos qu’au début du spectacle, vous évoquez les questions auxquelles vous devez faire face — « où est ton mari » ? as-tu des enfants ? pourquoi es-tu seule ? »
Exactement. Souvent les gens originaires du Moyen Orient, d’Afrique, d’Afghanistan, du Sri Lanka et généralement les personnes que l’on croise dans les centres pour demandeurs d’asile, attachent beaucoup d’importance aux valeurs du mariage, de la famille. C’est pourquoi elles posent ces questions, mais pour moi c’est très désagréable. Je n’ai pas du tout envie que l’on me renvoie à ces questions. On me demande très rarement « que fais-tu dans la vie ? quel est ton nom ? » mais toujours « combien as-tu d’enfants ? où est ton mari ? » ce qui se traduit souvent aussitôt par « pourquoi n’as-tu pas d’enfants ? pourquoi n’es-tu pas mariée ? qu’est ce qui ne va pas avec toi ? … » c’est très pénible. En général, quand ça me dérange, je riposte, mais il m’est arrivé de croiser d’autres personnes queer dans le centre pour demandeurs d’asile où j’avais mes habitudes, qui étaient discriminé·es mais qui souvent restaient muré·es dans le silence, qui, par peur, n’osaient pas se plaindre.
Sur le plan de l’écriture du spectacle, comment avez-vous procédé ?
Je savais que je voulais réaliser un projet multimédia avec de la vidéo, une approche assez graphique, de la musique, du clown, de la comédie… Ce n’est pas quelque chose que j’ai écrit puis mis en scène, c’est vraiment écrit au plateau avec l’équipe qui travaille avec moi : j’ai cherché, j’ai improvisé, j’ai répété, j’ai enregistré chaque séance puis j’ai réécrit et improvisé encore et ainsi de suite. Tout a avancé en parallèle.
Qu’attendez-vous d’Avignon ?
C’est incroyable cette ville pleine d’artistes et de théâtre, c’est un moment extraordinaire, je suis très impatiente d’y être. J’y ai déjà joué mais là, pour la première fois, je viens avec mon propre projet. J’ai travaillé à adapter certains passages pour le public français, j’intègre aussi des mots en français. Cela me stresse un peu car j’ai beaucoup de mal avec la prononciation française, j’ai l’impression de n’être pas du tout apte à prononcer cette langue… J’ai joué une fois dans le cadre du festival Les Rencontres à l’échelle, à Marseille, j’avais fait des efforts pour introduire des mots français mais visiblement le public n’a pas du tout compris que je parlais en français… Cette fois, j’ai plusieurs représentations pour y arriver, c’est le défi ! En fait, avant d’avoir l’opportunité de débarquer en Suisse, je rêvais d’aller en France pour travailler avec Ariane Mnouchkine, dans la veine d’un théâtre physique, de travailler le jeu masqué… Je l’ai rencontrée une fois quand elle est venue en Inde, je suis même allée à la Cartoucherie, mais ses acteurs pratiquent un jeu très physique, ils sont comme des athlètes, ce qui n’est pas mon cas. Si seulement je pouvais jouer un tout petit rôle dans un de ses spectacles… L’autre metteur en scène que j’aurais voulu connaître c’est Peter Brook, mais je n’ai pas eu cette chance. Bref, message à tous les metteurs en scène : engagez-moi !
Propos recueillis par Maïa Bouteillet